Le débat interprétatif en cercles de lecteurs pour s’approprier une œuvre intégrale

Ressource proposée par Jessica Desponds

Publié le 06/10/2024 | Modifié le 07/11/2024

Le dispositif du débat interprétatif en cercles de lecteurs permet d’enseigner la lecture littéraire à différents niveaux. Son intérêt repose en effet sur sa dimension structurelle qui le rend transposable.
Le débat interprétatif en cercles de lecteurs s’appuie sur l’articulation de plusieurs modalités de lecture : l’implication socio-affective de l’élève qui lui permet de s’emparer une première fois du texte de façon subjective ; la distanciation qui s’opère lors de la rencontre de l’élève avec une, puis des communautés interprétatives : son cercle de lecteurs puis la classe et la voix du professeur. Cette articulation des modes de lecture doit permettre à l’élève de s’approprier le texte d’une manière qui soit à la fois intime et savante.

Ainsi, nous pourrons nous demander pourquoi et comment le débat interprétatif permet à l’élève de s’emparer d’une œuvre complète. Nous présenterons tout d’abord les mécanismes qui favorisent l’immersion et la distanciation du sujet-lecteur. Nous montrerons ensuite comment ritualiser ces temps de débats interprétatifs au sein d’une séquence. Enfin, nous proposerons des pistes de travail pour expérimenter ce dispositif dans l’étude de La Peau de Chagrin d’Honoré de Balzac en classe de première.

I. Immersion et distanciation du sujet lecteur

→ L’immersion : lecture affective et/ou axiologique du texte étudié
. Dans cette première partie du travail on va se placer du côté du sujet – lecteur tel que le définit la théorie de la réception, on sort de la lecture modèle. Le professeur va guider ses élèves en leur proposant un rendez-vous de lecteurs et un questionnement qui fera l’objet d’un écrit d’appropriation dans le cahier de lecteur. Il est essentiel de bien penser cette question qui accompagne la lecture de l’élève dans la mesure où elle constituera le levier de la séance de débat interprétatif. Il est possible de distribuer aux élèves un bandeau à coller dans le cahier de lecteur qui ritualise le rendez-vous, rappelle sa date et le
questionnement proposé :

. Deux types de questionnements sont possibles selon la nature du texte étudié : un questionnement de type affectif (émotion – sensation) ou un questionnement de type axiologique qui favorise le développement des compétences d’argumentation. Le questionnement de type axiologique invite l’élève à se positionner en terme de bien ou de mal face aux choix du personnage par exemple, il est une voie d’accès vers une analyse
des enjeux éthiques de l’œuvre étudiée.

→ La confrontation des points de vue : décentrer la parole
Cette deuxième phase du travail se déroule en classe, le jour du rendez-vous proposé par le professeur. Chaque élève rencontre une première communauté interprétative, celle de son cercle de lecteurs.
Le professeur pense ses groupes en fonction des objectifs de la séance : les cercles peuvent être pensés en terme d’hétérogénéité de niveau ou au contraire en terme d’homogénéité avec des exercices différenciés qui seraient ensuite complémentaires lors de la reprise collective. Mais, les cercles peuvent aussi être pensés en fonction de la question et du positionnement axiologique des élèves. Par exemple : les élèves qui auront
défendu le choix du personnage se confronteront dans chaque cercle à ceux qui en auront fait le réquisitoire, favorisant ainsi le débat.

→ La distanciation : vers un consensus collectif
. Après ce temps d’échange durant lequel le professeur aura circulé dans les cercles vient le temps de la reprise collective, de la mise en commun des idées, arguments, émotions qui auront émergés des différents cercles. À cette étape, le professeur joue un rôle central en permettant aux élèves de tirer les différentes voix interprétatives qu’ils proposent pour les faire cheminer vers un consensus collectif. Ainsi, comme le montrait Umberto Eco, si le lecteur « remplit les blancs du texte » par ses interprétations, l’élève apprend également qu’un texte, en raison de son « contexte » ne pourra pas tout dire.

. Ce cheminement vers une lecture plus savante du texte étudié peut prendre différentes formes : une lecture analytique menée par la classe à l’oral dans un échange entre les différents cercles et le professeur ou la poursuite d’un travail en atelier dans les cercles avec des temps de reprise collective. Dans ce second cas, le professeur propose une feuille de route aux élèves avec différents types d’exercices en fonction des objectifs visés dans la séance.

→ L’évaluation des outils acquis durant la séance
C’est à l’issue de cette séance d’appropriation que vous allez pouvoir proposer un travail qui pourra faire l’objet d’une évaluation. Il est essentiel de le ritualiser également afin de montrer aux élèves que vous mesurez l’importance de l’acquisition de ces outils dans leur maîtrise de la lecture littéraire. Progressivement, au fil des rendez-vous, l’élève comprend que la juste lecture du texte articule sa réception personnelle du texte et les outils de la distanciation savante qui lui permettent d’être compris de la communauté littéraire.

II. La ritualisation des rendez-vous de lecteurs

Le tableau ci-dessous établit le programme des rendez-vous de lecteurs menés dans le cadre de l’étude du conte merveilleux médiéval Saint Julien l’hospitalier en classe de cinquième. La séquence s’inscrit dans la thématique « imaginer des univers nouveaux ». Il s’agit d’une séquence pensée sur seize séances.
En vert, les questionnements préparatoires proposés aux élèves de cinquième pour s’approprier leur lecture. En jaune, les objectifs visés durant la séance en cercles de lecteurs. En bleu, les évaluation proposées après chaque séance de débat interprétatif.

Voici un exemple de feuille de route pour mener le premier atelier en cercles de lecteurs de la séquence :

Exemple de feuille de route

III. La Peau de Chagrin d’Honoré de Balzac : Une œuvre féconde pour le débat interprétatif en cercles de lecteurs

La Peau de Chagrin, roman à la jonction du réalisme et du fantastique présente une proximité avec les enjeux du conte médiéval de Flaubert. De plus, le personnage de Raphaël de Valentin, tout comme celui de Saint Julien, se voit confronté à des choix éthiques auxquels l’élève – lecteur peut s’identifier et face auxquels il est en mesure de se positionner. Le choix qui fonde le récit de Balzac est celui du pacte de Raphaël avec le talisman, c’est pourquoi ce passage nous semble particulièrement propice pour l’élaboration d’un débat interprétatif en cercles de lecteurs.

Extrait retenu pour la séance :

Le Talisman

Questionnement :

On imagine que la rencontre des élèves dans les cercles de lecteurs va permettre de faire émerger des réponses plus ou moins savantes : certains vont se positionner de manière affective en entrant en empathie avec Raphaël ou au contraire en éprouvant de l’aversion envers son choix et la toute puissance de son désir. D’autres élèves vont reconnaître, grâce à leur parcours scolaire ou socio-culturel, le pacte faustien, les références à l’enfer, pour eux, la voix interprétative de la lecture savante sera déjà ouverte. Lors de la reprise collective, le professeur fera émerger ces voix et s’assura que l’implicite du texte a bien été compris de tous les élèves. Dans la feuille de route qui accompagnera la deuxième partie de la séance il sera intéressant de prévoir :
. Une activité portant sur le pacte faustien permettant à l’ensemble des élèves d’être en possession de cette intertextualité à l’issue de la séance.
. En lien avec la thématique du parcours de lecture - « Les romans de l’énergie : construction et destruction » - une activité autour de l’hypotypose. Par quels outils stylistiques Balzac rend il palpable la puissance du talisman dans l’extrait ? Comment la parole de Raphaël devient-elle performative à mesure que le talisman prend possession de lui ? Comment la force du désir de Raphaël se manifeste-t-elle dans les choix syntaxiques de Balzac ?
À l’issue de la séance les élèves auront compris, grâce à la référence explicitée au pacte faustien, que le choix de Raphaël est dangereux, mais que la force du talisman exprimée à travers l’hypotypose rend sa possession inévitable pour le personnage.

L’évaluation des acquis de la séance :
Lors de la séance suivante, il sera possible d’interroger les élèves à l’écrit en proposant une problématique plus savante, permettant d’allier la première lecture qu’ils avaient faite du texte dans leur cahier de lecteur à une lecture littéraire nourrie de la séance en cercles de lecteurs : « Comment Balzac met-il en évidence l’envoûtement progressif de Raphaël dans cet extrait ? »