Une séquence d’écriture collaborative : comment créer un récit fantastique qui interroge les limites du réel ?

Scénario proposé par Emilie Bauer

Publié le 15/10/2024 | Modifié le 07/11/2024

Contexte

Projet mené en classe de quatrième dans le cadre du questionnement "La fiction pour interroger le réel".

Objectifs

Elaborer une nouvelle fantastique dans une classe de 4ème (projet d’écriture longue) en binôme et en trois étapes.
Etre capable de formuler des conseils et de donner son avis sur la production de ses pairs.
Lire et enregistrer sa production à deux en tenant compte de la réception de son texte auprès des auditeurs.
Lire des récits fantastiques pour en maîtriser les codes d’écriture.
Recourir à l’outil numérique pour procéder à la phase finale de cette écriture collaborative.
Enrichir le lexique des élèves en exploitant différents champs lexicaux : les modalisateurs, les sensations et l’expression de la peur.
Favoriser le recours aux points de langue étudiés en classe dans des tâches complexes.

Déroulé de l’activité

Il s’agit d’alterner des phases de lecture (observation et analyse), d’étude de faits de langue particulièrement saillants dans les récits fantastiques et d’écriture en 3 phases.

1. Le premier « jet » doit leur permettre d’élaborer (à deux) en 35 à 40 lignes les deux premières étapes de leur nouvelle fantastique (incipit réaliste suivi de l’irruption d’un phénomène). Pour favoriser leur inspiration, il leur est demandé de piocher une carte « trame de départ » (un début de phrase des plus ordinaires) suivie d’une autre « phénomène fantastique » (une illustration intrigante propice à divers interprétations). Les « cartes » sont ici des outils précieux car elles permettent de lancer l’écriture sans trop limiter l’inspiration des élèves qui ont su proposer des interprétations très différentes quand bien même ils disposaient des mêmes cartes.

Cartes

A l’issue de cette première phase d’écriture collaborative, les copies sont échangées au sein de la classe : ils doivent en quelques lignes formuler leur avis et donner des conseils pour que leur camarade s’améliore.
Evaluation formative : le professeur relève cette première ébauche et entoure les commentaires dans une grille construite avec des repères de progressivité pour rendre leur correction plus efficace.

Consignes et grille de relecture du premier jet

2. Le deuxième « jet » doit permettre d’élaborer toujours à deux mains et en 40 lignes les deux dernières étapes de leur nouvelle (peur grandissante suivie du doute final qui doit subsister à l’issue du texte). Pour favoriser leur inspiration, ils doivent écouter et choisir des fonds musicaux proposés par la Philharmonie de Paris. Pour ce faire, les élèves se rendent sur le site Eduthèquede la Philharmonie de Paris. Ils explorent la richesse de leur fonds, ils écoutent individuellement les extraits de musique dans la catégorie « Nuit effrayante » et procèdent à un choix au sein de leur binôme. Recourir à ce site leur permet d’une part de nourrir leur inspiration mais aussi de réfléchir aux outils contribuant à l’ « ambiance fantastique ».

A l’issue de cette deuxième phase d’écriture collaborative, les copies sont à nouveau échangées (autres lecteurs) avec les même modalités.
Evaluation formative : le professeur relève cette deuxième ébauche et entoure les commentaires dans une grille construite avec des repères de progressivité afin d’observer l’évolution de leur travail.

Consignes et grille de relecture du deuxième jet

3. Le troisième « jet » doit permettre de formaliser sa production : relecture, correction de la langue suite aux commentaires entourés (professeur) et aux remarques formulées (camarades).
Evaluation sommative : Pour finir, le binôme récrit sa production en recourant à une plateforme d’écriture collaborative disponible sur leur E.N.T. qu’ils peuvent accompagner de quelques illustrations avant de les enregistrer. Puis, le binôme organise le découpage de sa nouvelle pour procéder à l’enregistrement vocal de leur texte en aménageant des intermèdes musicaux. L’ensemble (texte numérique et version audio-musicale) est finalement mis à disposition de la classe (avec autorisation). Lors de cette phase, les élèves interagissent de manière plus efficace en recourant à un logiciel d’écriture collaborative Etherpad disponible sur leur espace numérique de travail. Lors d’une séance d’écriture, ils peuvent en binôme écrire simultanément leur texte, se corriger et corriger leur camarade. Les élèves ont apprécié la facilité d’usage du logiciel Etherpad qui leur permet de travailler en réelle collaboration puisqu’ils écrivent simultanément en voyant les apports de leur partenaire.

Consignes et grille de relecture du troisième jet

Bilan et perspectives


Ce qui a bien fonctionné :

  • Une gestion plus souple du temps : cette activité a permis aux élèves de modifier le cadre habituel auquel ils étaient souvent astreints jusque-là. Ce travail scindé en plusieurs étapes laisse du temps pour repenser les étapes et se nourrir du quotidien pour envisager des améliorations. Ils appréhendent la liberté et les droits de l’écrivain qui peut faire et défaire son travail.
  • L’aspect collaboratif : Le travail de groupe est une modalité que connaissent bien nos élèves mais l’enjeu de l’évaluation crée une dynamique intéressante. Ils sont libres de collaborer comme ils le souhaitent sans rôle assigné au préalable. De même, les différentes étapes permettent une alternance des rôles au sein des binômes et garantit des échanges nourris au fur et à mesure de l’élaboration de ce récit.
  • Le réinvestissement des points saillants de la séquence : Ce travail en plusieurs « jets » a permis un réinvestissement réel des éléments croisés dans la séquence (ex : les modalisateurs, le lexique de la peur, …). Les élèves ont mesuré par eux-mêmes, en adoptant la posture de l’écrivain, l’efficacité et la nécessité de ces outils.
  • La « posture » d’évaluateur : Les élèves ont apprécié de pouvoir tous porter un jugement sur le travail de leurs pairs en leur proposant de manière assez libre des conseils d’amélioration. Cela fut difficile à envisager pour eux au départ mais ils ont su « aiguiser » leur regard au fur et à mesure de leurs lectures pour dispenser des conseils de plus en plus précis renvoyant à des éléments repérés dans des récits étudiés antérieurement.
  • La mise en voix et l’accompagnement sonore : les élèves ont été surpris par cette étape qu’ils jugeaient superficielle au début du projet : « pourquoi lire et choisir une musique quand les autres pourraient se contenter de lire par eux-mêmes au calme les productions ? » Ces doutes furent vite dissipés quand ils ont fait le choix de la musique. Ils se sont pris au jeu et ont proposé des exploitations plutôt originales de leurs voix : essoufflements, cris, ralentissements, … La négociation entre pairs pour annoter ce travail avant lecture fut révélatrice de leur volonté de produire un effet sur leur lecteur.

Ce qui est à revoir :

  • Le risque de lassitude : Les élèves peuvent se perdre si les phases d’écriture ne sont pas assez rapprochées. Ils ont encore du mal à reconsidérer ce qui a été fait pour l’améliorer (le rôle des appréciations des pairs est ici un levier fondamental pour éviter cet écueil).
  • La répartition des rôles figée : Il est primordial que l’enseignant circule au sein des groupes pour s’assurer de la répartition des tâches. Quelques groupes ont tendance à conserver le format initial (moi, j’écris/toi, tu as une idée) et parfois les idées ne circulent pas assez : les interroger et solliciter surtout celui qui semble plus passif est un bon moyen d’engager celui qui doute de lui dans l’exercice.
  • La difficulté de « juger » : Même si la consigne invite à donner des conseils, certains élèves ont peiné à s’impliquer dans cette phase du travail : soit ils jugent le travail de leurs pairs « parfait » (en tout cas, mieux que le leur), soit ils peinent à déchiffrer l’écriture d’un camarade et s’arrêtent là. Il faut là aussi les guider pour les convaincre que la critique est constructive et que l’excès de bienveillance n’est pas souhaitable.
  • La gestion d’un récit en plusieurs étapes  : Certains élèves ont pu être frustrés par ce découpage en plusieurs étapes. Leur inspiration est fluctuante et ils se sont sentis frustrés quand il fallait s’arrêter pour poursuivre plus tard.
  • La mise en voix : Pas simple pour ceux qui redoutent encore d’écouter leur voix de se livrer à cet exercice pourtant formateur quand on envisage les attendus de fin de cycle. Pour les plus réticents, l’enthousiasme de leurs camarades ou l’écoute de certaines productions orales a constitué un levier intéressant pour les convaincre du bien-fondé de l’exercice.

Perspectives éventuelles :

  • Déploiement du numérique  : Il pourrait être opportun d’effectuer les différentes phases d’écriture en recourant systématiquement au numérique : cela permettrait un gain de temps considérable et engagerait une dynamique nouvelle pour les élèves les plus en difficulté avec l’écriture.
  • Déployer ce projet à une autre échelle : entraîner toutes les classes de l’établissement dans ce projet pourrait créer une dynamique nouvelle : les écoutes des différentes productions pourraient être une manière originale de donner du sens à cette activité qui pourrait faire l’objet d’une sorte de « capsule temporelle » pour faire l’objet d’une exploitation antérieure.

Compétences du CRCN particulièrement sollicitées :
Domaine 1 : Informations et données (1.2)
Domaine 2 : Communication et collaboration (2.3)
Domaine 3 : Création de contenus (3.3)