Vérifier la compréhension d’une œuvre et travailler l’argumentation à partir d’un agent conversationnel

Scénario proposé par Elodie Lahaye

Publié le 08/10/2024 | Modifié le 07/11/2024

Contexte

Deux classes de troisième qui ont lu et étudié la pièce Antigone de Jean Anouilh. Pour cette expérimentation les élèves vont devoir réinvestir ce qu’ils ont compris des motivations des différents personnages de la pièce afin de convaincre Antigone de ne pas enterrer Polynice. Bien évidemment, la tentative sera infructueuse afin de respecter les codes de la tragédie.
Ce travail s’effectue dans un premier temps en classe en binôme. Les élèves doivent à partir d’un agent conversationnel créé avec Mizou1 dialoguer avec l’héroïne pour la faire changer d’avis et éviter sa mort.
Dans un second temps, en groupe de quatre, ils reviennent sur les échanges et analysent les réponses fournies par l’agent conversationnel ainsi que leurs propres arguments.

Objectifs

L’objectif premier est d’amener les élèves à réinvestir les connaissances qu’ils ont des personnages de la pièce et à revenir sur la définition du tragique car ils ne réussiront pas à faire céder Antigone. C’est donc également un moyen de mettre en avant les mécanismes de la tragédie.
L’objectif suivant est de travailler l’argumentation sous une autre forme.
Le dernier est de familiariser les élèves à un usage pertinent et critique de l’IA dans le cadre d’une activité scolaire.

Déroulé de l’activité

  • En amont de la séance

Création de l’agent conversationnel avec Mizou qui est une plateforme de création de chatbots dédiés à l’éducation.
La création du chatbot est la phase la plus délicate car les règles fixées vont permettre de savoir ce qu’il doit ou ne doit pas faire. Par exemple, il semblait nécessaire de rappeler qu’Antigone ne devait à aucun moment céder face aux arguments proposés car elle ne peut pas échapper à son destin. Il a fallu ensuite dresser la liste des personnages et de leurs arguments à partir de la pièce afin d’anticiper les réponses de l’IA pour faire en sorte que ces dernières soient conformes à ce qui se joue.

  • Pendant la séance

Au début de la séance, l’enseignant explique l’activité et rappelle la nécessité de s’appuyer sur des arguments variés mais aussi sur celle d’avoir un véritable échange avec l’agent conversationnel Antigone.
Pendant la séance d’une trentaine de minutes, l’enseignant navigue entre les groupes afin de répondre aux éventuelles questions des élèves qui entrent facilement dans l‘activité. Il est intéressant de signaler que lors de cette phase, les élèves ont le réflexe de reprendre l’œuvre pour vérifier certains détails afin de respecter au mieux ce que dit la pièce. Au cours de l’activité, les élèves prennent peu à peu conscience qu’ils ne réussiront pas à faire fléchir Antigone car tel est le destin qui lui est réservé dans la tragédie.

  • Après la séance du côté de l‘enseignant

Après la séance, l’enseignant analyse les résultats. Il est pour cela aider par la plateforme Mizou qui propose une évaluation des échanges. Cette évaluation repose sur la progression des arguments, sur la connaissance de la pièce, mais aussi sur le langage employé par les élèves.

L’enseignant vérifie de son côté la pertinence des arguments évoqués afin de voir s’ils sont en lien avec la pièce. Cela lui permet de voir si les enjeux ont été compris et si les élèves se sont appropriés les notions. Il constate ainsi que certains élèves se sont pleinement emparés de la pièce et ont également essayé d’utiliser le même vocabulaire que celui employé par l’agent conversationnel. Pour d’autres, les échanges ont été moins développés car ils n’ont pas toujours su répondre aux propos.

Exemple d’échanges n°1

Exemple d’échanges n°2

Exemple d’échanges n°3

  • Après la séance en classe

L’enseignant regroupe ensuite les réponses des élèves et constitue de nouveaux groupes afin que les élèves évaluent à leur tour la qualité de l’argumentation de l’IA à partir d’un repérage des arguments évoqués par l’agent conversationnel, les champs lexicaux, les connaissances liées à la pièce. Le but est ici de leur permettre d’avoir un regard critique sur leur propre argumentation et celle de l’IA.

Les élèves font ensuite une présentation orale de leurs constats et listent les points forts et points faibles de leur production mais aussi de l’agent conversationnel.
Ils ont ainsi tous affirmé qu’Antigone restait fidèle à ses convictions et que la fin de l’échange était attendue car elle ne change pas d‘avis. Ils ont souligné que l’agent conversationnel connaissait bien les liens qui l’unissaient aux autres membres de la pièce : par exemple, lorsqu’ils parlent de la sœur, l’agent conversationnel répond en utilisant le nom d’Ismène. Le langage soutenu est pour eux également une marque qui reprend les codes de la tragédie tout comme les thèmes soulevés.
Cependant, ils ont remarqué que l’argumentation du chatbot-Antigone reposait sur de nombreuses répétitions et sur la présence massive du champ lexical de l’honneur et de la famille. Ainsi, ont-ils remarqué que les arguments se répétaient et ils ont eu l’impression que parfois ils ne répondaient pas directement à leurs propres arguments. Ensuite, ils ont montré que le chatbot-Antigone évoque beaucoup les dieux contrairement à ce que les élèves ont lu dans la pièce de Jean Anouilh.
Et un dysfonctionnement a été signalé : parfois l’agent conversationnel répondait comme s’il s’adressait directement à un des personnages de la pièce et non aux élèves.
Toutes ces remarques montrent le niveau d’engagement des élèves et sont autant de pistes d’amélioration des règles données au départ.

Bilan

Cette activité a permis à l’enseignant de faire un bilan de l’étude de l’œuvre sous une forme différente qui a été perçue comme ludique par les élèves à cause de cette feintise narrative. Le format de l’activité a suscité un réel engagement et a permis de montrer l’état de compréhension de la pièce à l’issue de l’étude. Ainsi chaque groupe a utilisé les arguments qu’auraient pu avoir les personnages de la pièce, en particulier Ismène et Hémon ou encore la nourrice. Les élèves ont eu davantage de difficultés à s’emparer des arguments de Créon.
Sur l’ensemble des 23 binômes, tous se sont engagés dans l’activité en s’appuyant sur leurs connaissances de la pièce. Au regard de l’évalution fournie par Mizou, seuls 3 binômes ont fourni des réponses brèves qui attestent d’une difficulté à comprendre les enjeux de la pièce.
La séance qui a suivi a permis aux élèves de bien prendre conscience des limites de cet agent conversationnel et cela a permis de développer leur regard critique en confrontant leurs arguments et ceux de la pièce. Et en ayant aussi une analyse plus fine fondée sur les procédés d’écriture utilisés par le personnage. Cela a également renforcé leurs connaissances sur le genre de la tragédie.
L’argumentation a donc été ici travaillé à différents niveaux.

Compétences du CRCN particulièrement sollicitées :
Domaine 2 : communication et collaboration (2.1)
Domaine 5 : environnement numérique (5.2)