
Article réflexif : vérifier collectivement des images, s’entraider pour dissocier le faux du vrai
Pour éclairer l’évaluation des projets menés dans deux collèges, l’un à Toulon ( Thomas Bréant) et l’autre à Orléans (Caroline Vernay), les professeurs documentalistes ont interrogé des élèves sur la manière dont ils ont travaillé et le regard qu’ils portent sur cette expérience de co-évaluation de l’information en ligne.
Publié le 28/06/2025
Vérifier collectivement des images : s’entraider pour dissocier le faux du vrai – retour réflexif
Pour éclairer l’évaluation des projets menés dans les deux collèges de Toulon et d’Orléans, nous avons interrogé des élèves sur la manière dont ils ont travaillé et le regard qu’ils portent sur cette expérience.
Modalités :
Une trentaine d’élèves ont été interrogé dans les deux établissements à partir d’un questionnaire, sous la forme d’interviews par groupes de 4-5 élèves sur des temps périscolaires. Les réponses ont été compilées dans un document partagé.
Réponses des élèves :
Leur ressenti face aux images proposées :
Globalement, les élèves évoquent des émotions : le rire voire les moqueries, la peur. Peu mentionnent l’IA comme une menace, ils pensent tous au jeu que cela peu susciter. Certains disent que l’image leur a fait un drôle d’effet, ou qu’elle leur a paru fausse. Pour l’image de l’athlète, un élève témoigne avoir déjà vu l’image avant et donc n’avoir pas été surpris.
Leur réaction après avoir lu les commentaires :
Dans le cadre d’un accès libre sous forme de défi (collège de Toulon), il y a trois attitudes :
ceux qui ont détourné le Digipad pour le transformer en boîte de discussion pour faire des blagues (qui ont été modérées en direct),
ceux qui ont complètement ignoré les commentaires,
ceux qui ont lu et qui ont répondu en fonction des commentaires (opposition ou suiveurs).
Dans le cadre d’un accès lors d’une séance pédagogique axée sur la vérification des images (collège d’Orléans), les élèves partaient plutôt du présupposé que l’image était douteuse (quoi qu’il ne leur ait rien été dit sur ce point). Pour certains, l’unanimité des commentaires les a conduit à douter de ce qu’ils affirmaient / d’autres ont utilisé les commentaires pour trouver des indices leur permettant de valider ou invalider leur hypothèse ("après on a vu un commentaire qui parlait d’une ombre, on a commencé à croire que c’était vrai"), avant de faire eux-mêmes une recherche.
Ont-ils été influencés par les commentaires des autres ?
Pour ceux qui les ont lus, 25 % disent ne pas avoir été influencés, 50 % disent avoir été poussés à dire la même chose, et 25 % disent avoir été poussés à contredire les commentaires précédemment déposés par d’autres. Il y a donc une proportion non négligeable d’élèves qui sont allés dans le sens des avis majoritairement exprimés.
Ceci est vrai surtout pour les élèves ayant travaillé en autonomie, pour les élèves encadrés dans une séance pédagogique, ils disent avoir été un peu influencés, mais s’être surtout fait leur avis en faisant une recherche.
Les élèves ont-il vérifié les sources proposées dans les commentaires des autres ? :
Les élèves ayant travaillé en autonomie disent n’avoir pas pensé à aller vérifier les sources proposées par les autres, contrairement aux élèves ayant travaillé dans le cadre d’une séance pédagogique. Dans ce cas, le réflexe de vérification dépend des sources : si c’était une source connue pour être fiable (Wikipedia est citée comme exemple) ce n’est pas la peine de vérifier, sinon il faut vérifier.
L’utilisation du pad partagé :
La plupart des élèves ayant travaillé en autonomie ont identifié les commentaires déposés par les élèves travaillant en séance pédagogique comme étant différents des autres, et comme résultant d’un travail scolaire.
Les élèves qui ont déposé des photos sont ceux qui ont travaillé en autonomie (les autres n’ayant pas compris qu’ils pouvaient le faire). Dans ce cas, ils l’ont fait pour « piéger les autres », ou pour « rigoler ».
Les élèves ayant travaillé en autonomie ont pour la plupart utilisé leur téléphone, dans un cadre personnel, ils ont ajouté des émojis (pour exprimer la peur ou le rire), et disent ne pas avoir particulièrement fait d’effort pour rédiger leurs commentaires. Ceux qui ont travaillé dans le cadre d’une séance pédagogique ont utilisé uniquement des ordinateurs, ils disent s’être appliqués, notamment sur l’orthographe, "pour que les gens pensent que c’est un commentaire fiable", et ils ont mis des sources "pour que les gens voient d’où vient notre avis".
L’avis des professeurs documentalistes :
Sur la perception de l’IAg :
La réception des images se fait beaucoup par les émotions, la multiplication des IA est vécue comme un jeu sans gravité car ils ne connaissent pas son fonctionnement. L’utilisation de l’IA est récréative ou alors "simplifie la vie" pour illustrer les exposés ou les devoirs. Le droit d’auteur est perçu comme une contrainte.
Sur la collaboration :
Les commentaires des autres sont plutôt un frein à la réflexion : soit on ne les lit pas, soit on les suit sans argumenter. Dans tous les cas, il n’y a pas de réelle interaction écrite ou formalisée dans le Digipad.
Dans les deux établissements, lorsqu’on a observé les élèves au travail, on a constaté qu’ils mènent une réflexion à plusieurs en interaction verbale avant d’écrire le commentaire comme une sorte de réponse collective. (Par exemple pour le GuinessBook du sprinteur, ils sont allés voir ensemble sur Internet et on rédigé tous les quatre "vrai". Il y a donc eu quatre commentaires avec simplement "vrai" alors que la réflexion collective a eu lieu hors-ligne). Il y a donc une partie des échanges qui ne sont pas écrits, mais qui servent cependant aux élèves à se forger leur conviction.
Pour les élèves placés dans une situation de séance pédagogique, l’objectif affiché de vérification des images les a conduits à utiliser les commentaires des autres a minima : ils y ont puisé la matière d’une première impression générale sur l’image, puis s’en sont détournés pour faire une vérification basée sur des recherches.
La comparaison des modalités de travail dans les deux établissements fait ressortir que la collaboration doit être explicitée pour fonctionner : si les élèves savent qu’on s’intéresse à la manière dont les avis des uns influencent ceux des autres, ils vont soigner leurs commentaires, chercher à les étayer, les justifier par des sources. Comme toute compétence, la collaboration doit être travaillée explicitement.
Thomas Bréant, professeur documentaliste, coordonnateur CLEMI Nice (Var). Collège La Marquisanne, Toulon (83)
Caroline Vernay, professeure documentaliste, formatrice académique. Collège Jean Dunois, Orléans (45)